Zone tactique

Pep Guardiola : Entre amour et désamour

Adulé par certains, vivement critiqué par d’autres, Pep Guardiola ne laisse personne indifférent. Parti à la conquête de la Premier League il y a trois ans maintenant, il a mis tout le monde d’accord en remportant deux titres de champion d’Angleterre consécutifs, malgré une concurrence des plus féroces. Et pourtant, le technicien catalan suscite toujours autant d’interrogations, et son travail est systématiquement remis en cause. Zoom sur l’un des entraîneurs le plus populaire de sa génération.

Identité de jeu et progression des joueurs

S’il y a bien une chose que Pep Guardiola a systématiquement réussi, c’est imprimer sa vision du football aux équipes qu’il a entraînées. Un football offensif, spectaculaire, reposant sur des longues phases de possession afin de trouver le bon décalage, au bon moment. Un style de jeu auquel on a pas tardé à donner un petit surnom : le tiki-taka. De quoi agacer le concerné qui rejette avec véhémence cette appellation, qui n’a d’après lui rien à voir avec son style de jeu.

En effet, par définition, tiki-taka renvoie à un style de jeu basé sur une possession sans but précis. Or, dans l’esprit de Guardiola, le jeu de possesion de son équipe a un objectif particulier : marquer. Cela ne l’avait pas empêché, lors d’une rencontre de Ligue des Champions disputée face à Arsenal alors qu’il entraînait le Bayern Munich (2014), de dire à ses joueurs :

 

Pour une fois, je veux que vous fassiez exactement ce que je déteste le plus, ce que je vous ai dit être de la merde. Du tiki-taka. Je suis désolé, mais aujourd’hui, je veux que vous fassiez exactement cela, juste pour un moment. Passez le ballon sans but. Passez le ballon juste pour passer le ballon. Vous allez vous ennuyer et vous aurez l’impression que c’est un exercice inutile, mais il y a une raison. Nous voulons garder la balle et ennuyer Arsenal à mourir, les empêcher de nous prendre la balle. Ils finiront par se rendre compte que tout leur pressing est inutile parce qu’ils ne seront jamais à portée du ballon. Vous n’aurez pas besoin de moi pour vous dire quand passer à autre chose. Au bout de dix minutes, quand vous pourrez voir qu’ils sont à court d’essence, qu’ils s’ennuient et qu’ils perdent espoir, quand vous verrez qu’ils ne chassent plus la balle avec autant d’agressivité, messieurs, c’est à ce moment-là que je veux que vous commenciez le véritable match. C’est à ce moment-là que nous arrêtons le tiki-taka et commençons à jouer notre football.”


Sa plus grande réussite semble donc d’être parvenu à inculquer cette idéologie de jeu à Manchester City, dans un championnat historiquement réputé pour son aspect physique, souvent dominant sur l’aspect tactique. Si l’adaptation a mis un peu de temps, la première saison des SkyBlues étant pour le moins décevante, cela en valait finalement la peine. Depuis, les coéquipiers de Kévin De Bruyne, devenu une pièce maîtresse du système citizen, raflent tout sur la scène nationale. L’an passé, en plus du championnat, Guardiola et ses hommes ont également remporté le Community Shield, la League Cup ainsi que la Cup, venant étoffer encore un peu plus le palmarès du technicien catalan.

Si Pep Guardiola voue une fidélité sans faille à ses principes de jeu, cela ne l’a pas pour autant empêché de s’adapter selon certaines situations qu’il a traversées. En 2015, à l’occasion d’une demi-finale aller de Ligue des Champions disputée avec le Bayern sur la pelouse du Barça, il avait alors accepté de renoncer à son jeu de possession habituel, lui préférant une approche plus défensive. A l’arrivée, une défaite sur le score de 3 à 0, plutôt lourde au vu du match où les Munichois étaient parvenus à résister longtemps aux offensives adverses. 

L’autre grande force de Pep Guardiola réside dans sa capacité à faire progresser, parfois de manière fulgurante, ses joueurs. Une qualité qui doit très fortement jouer en sa faveur dans le vestiaire, et qui explique pourquoi celui-ci est toujours resté très impliqué. 

A Manchester, le tacticien espagnol a fait passé un cap à un joueur que beaucoup d’observateurs considéraient déjà comme ayant atteint son plafond de verre, à savoir Raheem Sterling. L’attaquant anglais est devenu un redoutable finisseur sous les ordres de son nouvel entraîneur, devenant un pion essentiel dans l’animation offensive des Citizens, et ce malgré une forte concurrence à son poste.

Quand il était en charge du Bayern, Pep Guardiola a notamment su tirer le meilleur de plusieurs joueurs, certains d’ailleurs devenus méconnaissables aujourd’hui. On pense notamment à Jérôme Boateng, un joueur qu’adorait Guardiola, et à qui il a confié une sorte de rôle de “quaterback” afin de casser les lignes adverses.

Le meilleur exemple reste sans aucun doute celui de Joshua Kimmich, arrivé en Bavière en 2015, en provenance de la Bundesliga.2. Comme le raconte le joueur dans The Players Tribune, c’est bien le technicien catalan qui a insisté pour qu’il rejoigne le Bayern Munich. La saison suivante, il n’hésitera d’ailleurs pas à donner du temps de jeu à un joueur alors méconnu des fans de l’Allianz Arena. 

Quatre ans plus tard, Joshua Kimmich est devenu indéboulonnable en club et en sélection, et il est d’ailleurs plus que probable de le voir, dans un futur proche, en porter le brassard de capitaine.

Echecs en LDC et syndrome de la comparaison

Si Pep Guardiola a toujours brillé avec ses équipes dans les compétitions disputées sur le sol national, on lui reproche en revanche d’avoir contre-performé trop souvent en Ligue des Champions.

C’est d’ailleurs l’argument qui revient souvent dans la bouche de ses détracteurs : il n’a jamais remporté la Ligue des Champions avec un autre club que le Barça. Lors de ses trois années passées sur le banc du Bayern, il se sera systématiquement heurté au stade des demi-finales, si l’on regarde le verre à moitié vide. 

Finalement, c’est surtout du côté de Manchester City que ce défaut rejaillit le plus, alors que Guardiola n’a disputé aucune demi-finale en trois ans. 

Mais alors, d’où provient le problème ? D’une idéologie de jeu incompatible avec la Ligue des Champions ? C’est ce que beaucoup d’observateurs considèrent, alors que l’infériorité numérique des Citizens en phase défensive a régulièrement été l’une des causes de leurs échecs dans la compétition.

Autant dire que l’ancien coach du Barça va être scruté de près à l’occasion de cette édition 2019-2020 de la Coupe aux grandes oreilles, dans laquelle City joue gros, car déjà distancé en Premier League par Liverpool.

Un autre facteur, extérieur cette fois, explique également pourquoi l’image de Pep Guardiola est si controversée. Il s’agit de ce besoin perpétuel, dans nos sociétés actuelles, d’avoir recours à des comparaisons afin de déterminer une hiérarchie, de déclarer qui est le meilleur, et qui est le moins bon. On le voit notamment à travers le duel Cristiano Ronaldo-Lionel Messi, systématiquement évoqué dans la sphère médiatique et sur les réseaux sociaux. Mais ce culte de la comparaison se retrouve également à l’échelle des tacticiens ; ainsi, depuis deux ans maintenant, on assiste à un nouveau duel créé de toutes pièces par les réseaux sociaux : Klopp VS Guardiola.

Forcément, cette configuration tend à motiver chacun à trouver des arguments afin de dévaloriser l’un par rapport à l’autre, ce qui explique ainsi pourquoi ces entraîneurs voient leur image transformée, car manipulée au quotidien par tous. 

Par exemple, depuis quelques mois, une nouvelle tendance contre Guardiola s’est diffusée sur Twitter, reprochant à l’entraîneur de Manchester City d’exagérer ses gestes et son coaching en présence des caméras.

Le symbole des dérives du jeu des comparaisons, dont les arguments finissent inéluctablement par sortir complètement du cadre du débat.

Paul Stefani

Pep Guardiola : Entre amour et désamour

Marco Rose et Gladbach : une relation haute en couleurs

C’est la tendance de ce début de saison en Bundesliga. Discrets, silencieux, mais d’une efficacité redoutable, les Poulains du Borussia Mönchengladbach occupent seuls la tête du championnat, après 11 journées. Mais cette dynamique est-elle réellement amenée à se poursuivre ? Alors que la plupart des regards sont davantage rivés sur les difficultés du Bayern Munich et du Borussia Dortmund, le moment est venu d’analyser les clés du succès des actuels leaders de Bundesliga.

Le phénomène Marco Rose

Résumer la réussite du club allemand à une personne, à savoir son entraîneur, paraît un peu réducteur. Néanmoins, ce dernier s’impose véritablement comme le grand artisan du bon début de saison des Poulains.

Habitué à disputer des joutes européennes depuis plusieurs saisons maintenant, le Borussia Mönchengladbach souhaitait cependant faire franchir un cap à un effectif qui semblait jusque-là limité. Exit Dieter Hecking, le choix d’un successeur en mesure de tirer le meilleur de l’ensemble des joueurs est alors devenu primordial. Et, à l’arrivée, des plus pertinents.

Peu connu en Europe, Marco Rose a pourtant déjà clairement fait ses preuves en Autriche, à la tête du Red Bull Salzbourg. Là-bas, le technicien allemand a gravi les échelons à une vitesse surprenante, sans jamais paraître dépassé par les événements. Après avoir remporté la Youth League en 2017, il succède à Oscar Garcia sur le banc de l’équipe première pour la saison 2017-2018. Champions d’Autriche à l’issue de la saison, les joueurs de Salzbourg se font surtout remarqués lors d’une campagne d’Europa League féerique, qui se terminera finalement face à l’Olympique de Marseille, en demi-finales. La saison suivante, Marco Rose et ses hommes signent le doublé coupe-championnat, pour le plus grand bonheur des fans.

Au-delà de sa capacité à remporter des titres, l’ancien joueur d’Hanovre et de Mayence dispose également d’un plan de jeu précis, qui a fait la force du Red Bull Salzbourg et qui, pour le moment, semble également bien fonctionner de l’autre côté de la frontière autrichienne. Adepte d’un style offensif, basé sur un gegenpressing intense ainsi qu’un jeu vertical, le coach allemand s’inscrit dans la lignée de plusieurs de ses homologues, comme Julian Nagelsmann et… Jürgen Klopp.

Si la comparaison avec ce dernier peut paraître flatteuse, elle n’en est pas pour autant dénuée de sens. Les deux hommes se connaissent bien, et se sont croisés du côté de Mayence dans les années 2010. L’actuel entraîneur de Liverpool ne tarit d’ailleurs pas d’éloges au sujet de celui que de plus en plus considèrent comme son “disciple” : “Il pourrait réussir n’importe où. Il est le coach le plus en vogue du moment, celui qui suscite l’intérêt de tout le monde”.

Dans le jeu, on retrouve en effet des similitudes entre les deux entraîneurs. Rose base en effet essentiellement sa philosophie sur un pressing travaillé, censé permettre à ses joueurs de se projeter plus facilement vers le but adverse. Il incarne également le profil du coach moderne, comme en témoigne le choix de son adjoint, René Maric, âgé de seulement 29 ans, et dont la trajectoire fascine. Co-fondateur d’un site internet spécialisé dans les analyses tactiques, il n’a pas tardé à taper dans l’oeil du centre de formation du Red Bull Salzbourg, qui lui a proposé un poste. Le voilà désormais adjoint de l’un des entraîneurs les plus populaires du moment en Europe, ce qui est loin d’être une coïncidence.

Un effectif en phase avec le projet

Si les choses se passent plutôt bien pour le moment pour Marco Rose à la tête de Gladbach, c’est notamment grâce aux qualités de l’effectif qui répondent parfaitement au plan de jeu du tacticien allemand. Parmi ces qualités, on retrouve bien évidemment le volume de jeu conséquent de certains cadres comme Denis Zakaria ou Matthias Ginter, qui permet donc aux Poulains de mettre en place un pressing très intense et efficace face à leurs adversaires. 

La notion de mouvement, également primordiale dans l’esprit de Rose, est parfaitement appliquée par ses nouveaux joueurs qui font preuve d’une certaine polyvalence, et qui parviennent sans trop de difficultés à se positionner dans les espaces afin de favoriser un style de passes plus vertical, une arme redoutable en Bundesliga quand on connaît notamment les qualités des joueurs en matière de frappes de loin. Le système de Rose oscille ainsi la plupart du temps entre un 4-3-1-2 et un 4-2-3-1 très axial, deux approches qui ont pour le moment fait leurs preuves.

L’ancien technicien du RB Salzbourg peut s’appuyer sur le tandem français Pléa-Thuram en attaque, qui pèse sur les défenses adverses. L’adaptation fulgurante du dernier, débarqué cet été en Bundesliga en provenance de Guingamp, est assez impressionnante et n’est sans aucun doute pas étrangère à l’arrivée de Marco Rose sur le banc des Poulains. Auteur de 5 buts en Bundesliga, le joueur formé à Sochaux ne se résume pas à ces statistiques : il participe activement et avec beaucoup d’intelligence au pressing de son équipe, et son jeu dos au but fait également le bonheur de ses partenaires.

Des débuts à relativiser

Certes, le Borussia Mönchengladbach est actuellement seul leader de Bundesliga, avec 4 longueurs d’avance sur son dauphin, le RB Leipzig. Mais le plus dur commence peut-être pour les hommes de Marco Rose, alors que le Bayern Munich semble avoir retrouvé un second souffle avec Hansi Flick et que le Borussia Dortmund a trop de qualités pour en rester là. 

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les Poulains sont également engagés en Europa League, et que l’enchaînement des matchs pourrait leur faire perdre de précieux points en championnat. Deuxièmes de leur poule, à égalité de points avec l’AS Roma, troisième, les Allemands devront se battre jusqu’au bout pour décrocher leur place en seizièmes de finales. S’ils peuvent se plaindre d’avoir hérité d’un groupe assez relevé (AS Roma, Istanbul Basaksehir), leurs supporters n’ont cependant pas oublié la lourde défaite concédée à domicile face à l’équipe considérée comme la plus faible du groupe : Wolfsberg.

En ce qui concerne la Bundesliga, il ne faut pas oublier de rappeler que les troupes dirigées par Marco Rose n’ont pour le moment pas vraiment brillé face à leurs concurrents de haut de tableau (défaite face au BVB et face à Leipzig). Le mois de décembre, qui les verra notamment accueillir le Bayern Munich et disputer leur survie en Europa League, pourrait bien laisser des traces.

Et craindre de ne plus tellement voir la vie en Rose ?

Paul Stefani

Marco Rose et Gladbach : une relation haute en couleurs

La Ligue 1 est-elle si faible tactiquement ?

“Je crois que tactiquement, il peut beaucoup s’améliorer”. Tels sont les mots de Cesc Fabregas à l’égard du championnat de France, qu’il juge bien moins performant en comparaison avec la Premier League ou la Liga. Un constat qui revient souvent dans les paroles de plusieurs joueurs ou observateurs, alors que chaque grand championnat européen semble disposer d’une caractéristique spécifique (le catennaccio italien, l’aspect technique de la Liga,…). Mais qu’en est-il véritablement de notre Ligue 1 ?

Une conception plus rigide du football

Bien qu’on ne puisse pas évoquer une philosophie commune à tous les clubs de Ligue 1, une tendance revient assez souvent. Elle consiste à laisser le ballon à l’adversaire, et ainsi se concentrer principalement sur une mission : bien défendre. Les espoirs de buts reposent ainsi beaucoup sur les contre-attaques, laissant souvent la place à un jeu plus direct. Une importance toute particulière est également accordée aux coups de pied arrêtés. 

L’exemple phare de cette conception du jeu se tient très souvent lorsque des clubs moins huppés de Ligue 1 doivent affronter le PSG. La plupart d’entre eux privilégient alors un bloc bas, quitte à se contenter d’un match nul au goût de victoire. Lorsqu’il entraînait Evian mais également Toulouse, Pascal Dupraz aimait se reposer sur une défense “à six”, avec une ligne de 4 classique, supplée par des ailiers évoluant très bas, aux côtés des latéraux, afin de bloquer aux maximum les espaces sur les ailes.

L’approche tactique du TFC de Pascal Dupraz face au PSG en septembre 2016, qui a abouti à un succès 2-0 des Violets.

Bien que ce genre d’approche ne fasse sans doute pas rêver les adeptes de football total et de pressing à outrance, elle n’en est pas moins dénuée de tactique, bien au contraire. Car bien défendre, c’est avant tout un long travail de coordination, qui recquiert une concentration maximale et continue. 

Certains entraîneurs de Ligue 1 brillent d’ailleurs avec cette philosophie de jeu ; on pense notamment ici à Stéphane Moulin, coach d’Angers, qui est parvenu à pérenniser le SCO dans l’élite, en s’appuyant sur une solidité défensive remarquable. Le Stade de Reims de Stéphane Guion est également très performant en la matière, et ses qualités en contre-attaque ne sont plus à démontrer. L’OM en a d’ailleurs fait les frais à l’occasion de la première journée de championnat (défaite 2-0). 

Cependant, cette conception rigide et prudente du jeu présente certaines limites sur le plan offensif. Logiquement, les opportunités se font plus rares, et se doivent d’être concrétisées. Mais, surtout, cette vision du jeu peut s’avérer inefficace dans les circonstances suivantes : face à une formation adoptant la même stratégie, ou bien face à une formation ayant ouvert le score tôt dans la rencontre. On retrouve d’ailleurs là une autre tendance de la Ligue 1, à savoir la volonté quasiment systématique de reculer après avoir ouvert le score, avec pour objectif de conserver cette courte marge d’avance, tout en tentant de l’aggraver en procédant en contre face à un adversaire qui va logiquement se découvrir peu à peu.

Une ouverture progressive des clubs à des entraîneurs plus ambitieux dans le jeu

La Ligue 1 tend pourtant à se moderniser en terme de philosophie de jeu, avec certes un léger train de retard par rapport aux autres championnats. On compte actuellement six entraîneurs étrangers en France, un chiffre incomparable avec la situation de la Premier League, par exemple.  Néanmoins, on retrouve désormais des profils d’entraîneurs plus ambitieux, un constat peut-être favorisé par le développement du PSG, désormais considéré comme un sérieux prétendant sur la scène européenne. 

On assiste par ailleurs de moins en moins à un recyclage des entraîneurs français expérimentés comme Frédéric Antonetti ou encore René Girard, même si ce constat reste à nuancer (le TFC a rappelé Alain Casanova ; le FC Nantes a fait appel à Christian Gourcuff). On note ainsi la nomination d’entraîneurs plus jeunes, avec des idées plus modernes, dont le porte-parole en France semble être Julien Stéphan, âgé de 38 ans, et à la tête du Stade Rennais depuis l’an dernier. Un choix qui a plutôt porté ses fruits puisque le fils de Guy Stéphan a emmené les Bretons vers un triomphe en Coupe de France en fin de saison dernière.

Le profil des entraîneurs de Ligue 1 a ainsi évolué, laissant plus de place à l’aspect tactique désormais. On retrouve ainsi une réelle flexibilité tactique dans le style de jeu du SRFC, mais également à Nice, où Patrick Vieira réalise un travail de qualité.  Si ces nouveaux visages sur les bancs du championnat de France tendent à accroître l’attractivité de ce dernier, plusieurs obstacles se dressent toutefois sur leur chemin. Il est en effet parfois délicat de produire du jeu avec un effectif limité. Paulo Sousa, ancien coach de la Fiorentina, et désormais aux commandes à Bordeaux, est sérieusement confronté à cette problématique depuis sa prise de fonctions. Doté d’un projet de jeu et de bonnes qualités de tacticien, il peine pour le moment à mettre en place le tout, ce qui explique son bilan comptable décevant à la tête des Girondins.

La Ligue 1 souffre tactiquement de son statut de championnat intermédiaire

Ce dernier constat sur le Bordeaux de Paulo Sousa montre la problématique qui se pose pour beaucoup d’autres coachs de Ligue 1, un championnat qui fait souvent office de passerelle. Certes, on trouve d’excellents centres de formation en France, et la génération championne du monde est pétrie de talents, mais ces derniers ont tendance à rapidement quitter leur pays natal pour rejoindre un championnat plus huppé. 

Finalement, seul le PSG semble vraiment en mesure d’attirer des joueurs de classe mondiale, là où la plupart des autres clubs de Ligue 1 sont contraints de céder leurs meilleurs joueurs à chaque mercato estival. On peut prendre l’exemple du LOSC, dauphin surprise l’an passé, et qui a du céder deux de ses meilleurs joueurs, à savoir Nicolas Pépé et Thiago Mendes. 

Ces pertes, en plus d’entraîner une baisse de compétitivité, affaiblissent la stabilité des clubs français en terme d’effectif, ce qui tend à complexifier le travail tactique des entraîneurs. De quoi agacer Stéphane Moulin, le coach angevin : “Tous les ans, il faut repartir avec de nouveaux joueurs. On perd tous les meilleurs, ça devient compliqué”. 

Pourtant, malgré cette instabilité en matière d’effectif, les entraîneurs du championnat de France parviennent tout de même à réaliser de bonnes performances, une preuve supplémentaire de leurs qualités de tacticien, à laquelle vient s’ajouter une certaine clairvoyance au moment de lancer les jeunes en équipe première.

Paul Stefani

La Ligue 1 est-elle si faible tactiquement ?

Chris Wilder : génie ou fou à lier ?

Le coach anglais de Sheffield United Chris Wilder, arrivé sur le banc des Blades en 2017, a mis en place un dispositif tactique pour le moins surprenant. Décryptage. 

Sur le papier, tout semble normal. Un 3-5-2 classique, avec trois centraux solides, deux pistons au grand coffre, deux attaquants complémentaires… Sauf que sur le terrain, le résultat est tout autre. Face à Crystal Palace le 18 août dernier, les Blades de Sheffield ont pratiqué un jeu léché, avec une bonne possession de balle pour un promu, de bonnes phases de transition… Mais surtout des défenseurs centraux aux avants-postes. 

Une tactique audacieuse

Durant toute la partie, nous avons vu les deux centraux de Sheffield Jack O’Connell et Crhis Basham faire des allers-retours incessants le long de la ligne de touche. Ces mouvements sont dûs à la philosophie de jeu prônée par Wilder : tout le monde attaque, tout le monde défend. Durant les phases offensives, les deux arrières centraux venaient dédoubler pour apporter des solutions sur les ailes, alors que les deux pistons George Baldock et Enda Stevens continuaient de se projeter vers l’avant ou de rentrer dans l’axe. La lourde tâche d’assurer la défense revenait donc au seul John Egan, défenseur axial. Les deux milieux de terrains Fleck et Lundstram, quant à eux, se projettent aussi vers l’avant pour apporter des solutions non loin de la surface. 

Sur les phases défensives, les joueurs de Sheffield avaient tout intérêt à se replier très rapidement dans leur camp. Parfois montés jusqu’au poteau de corner, les deux défenseurs centraux qui montaient devaient redescendre très rapidement. Heureusement, la cohésion d’équipe a permis aux Blades de ne jamais créer de sous-nombre défensif, les milieux couvrant les espaces laissés par ces montées fantasques. Lorsque Palace avait la possession, tous les joueurs de Sheffield se trouvaient dans leur propre camp, repliés afin de ne pas laisser un millimètre d’espace aux Eagles de Wilfried Zaha. Football total avez-vous dit ?

Statistiques de passes du match Sheffield / Crystal Palace récoltées via le site Whoscored.com

Carte montrant les zones de passes ainsi que le nombre de passes tentées par joueur. Statistiques récoltées via le site Whoscored.com

Un projet tactique inscrit sur la durée

Si Wilder nous apprend quelque chose, c’est qu’il faut être audacieux. Finis les promus qui jouent avec un bloc bas, attendant patiemment de se faire mettre à mort par les équipes au-dessus sur le papier. Place à l’audace. Le coach de Sheffield prouve qu’il ne faut pas avoir peur de proposer du jeu, quitte à parfois se faire punir en laissant trop d’espaces. Au bout de la deuxième journée, Sheffield a réalisé un match nul face à Bournemouth, et une victoire face à Palace 1-0. Le recrutement est cohérent, tout en étant limité. Phil Jagielka, le très expérimenté défenseur central anglais, a signé dans son club formateur en provenance d’Everton, où il perdait peu à peu du temps de jeu. Dean Henderson, gardien qui appartient à Manchester United, revient en prêt chez les Blades après une saison réussie en Championship, et Muhamed Besic arrive lui aussi en prêt. Côté transferts secs, trois arrivées offensives : Callum Robinson, attaquant de Preston pour environ 8 millions d’euros ; Lys Mousset, arrivé de Bournemouth pour 11 millions ; et Oliver McBurnie, arrivé de Swansea, pour 19 millions d’euros (record du club). Le buteur écossais arrive avec 22 buts en Championship au compteur, et est souvent évoqué comme un bel espoir à son poste du côté de l’Ecosse. Ajoutez à cela les recrues Luke Freeman, arrivé de QPR, et Ben Osborn de Nottingham, et vous obtenez le Sheffield version Premier League. 

Un recrutement donc cohérent sans pour autant chambouler tout l’effectif, puisque contre Palace, une seule recrue a démarré la rencontre, en la personne de Robinson. Chris Wilder préfère introduire en douceur les nouveaux membres de son effectif, le temps qu’ils s’adaptent à son système tactique. 

Les résultats de cette philosophie de jeu sont flagrants, avec une victoire contre Palace remplie de bonnes choses (15 tirs, 47% de possession, 77% de passes réussies, 10 passes clés) et un nul contre la belle équipe de Bournemouth 1-1 sur le fil, malgré une bonne prestation. De plus, un statistique montre les résultats plus qu’honorables : depuis la saison 2016/2017, Wilder a remporté 77 rencontres de championnat avec son club. Seul Guardiola a fait mieux sur la même période…  Malgré la défaite contre Leicester lors de la troisième journée samedi dernier (2-1 à domicile), les Blades ont montré de belles choses, tant sur l’aspect tactique que sur l’aspect physique. Néanmoins, c’est techniquement que Sheffield a pêché lors de cette rencontre, en rendant le ballon trop rapidement à leurs adversaires. “Nous n’avons pas été assez vite dans le camp adverse, et nous perdions le ballon trop rapidement. Quand vous rendez le ballon à de bons joueurs, ça ne pardonne pas” déclarait le coach au micro de BBC Match of the Day, à la suite de la rencontre. Le coach a également assuré ne pas vouloir “féliciter les efforts, car les efforts sont une évidence” pour lui. Une philosophie de jeu assumée, qui montre bien l’un des principes fondamentaux de sa tactique : la grinta.

Avec son style atypique, Chris Wilder a tout pour révolutionner l’image de son club. Tout juste promu avec son club de coeur, le coach des Blades a réussi à construire, en trois saison et demi sur le banc de Sheffield, un projet de jeu cohérent et ambitieux. A tort ou à raison ? Réponse en mai prochain… 

Hugo Kucharski

Chris Wilder : génie ou fou à lier ?

Le Gegenpress de Jürgen Klopp

Mis en place par Jürgen Klopp, l’actuel coach de Liverpool, le “Gegenpressing”, ou “contre-pressing” en français, est une tactique qui a déjà fait ses preuves au niveau mondial. Décryptage.

Durant son règne au Borussia Dortmund, en 2009, et depuis cette époque, le Gegenpressing de Jürgen Klopp a pris une place de choix dans le coeur des tacticiens dans le monde du football. D’après le coach allemand, “le meilleur moment pour récupérer le ballon, c’est juste après l’avoir perdu.” Beaucoup d’équipes utilisent cet état d’esprit, basé sur un jeu assez offensif : le Manchester City de Pep Guardiola, le Bayern sous Jupp Heynckes, et évidemment le Liverpool FC de Jürgen Klopp. Ce que l’on retient de l’équipe du technicien allemand de 2017-2018, c’est que Liverpool avait une attaque de feu, avec un incroyable trio Sadio Mané – Mohamed Salah – Roberto Firmino.

Un jeu basé sur la contre-attaque

“L’adversaire a quitté le jeu des yeux pour effectuer un tacle ou une interception et vient de dépenser de l’énergie. Il cherche son orientation pour passer le ballon, et ces deux éléments le rendent vulnérable. C’est à ce moment là qu’il faut presser, et organiser une contre-attaque.” Ce sont les mots de Klopp, lorsqu’il explique son style de jeu si atypique. En effet, pour que le Gegenpress soit efficace, il faut que les joueurs soient très agressifs dès la perte de balle. C’est toute une philosophie pour le jeu sans ballon, chaque joueur doit faire l’effort d’aller chercher les adversaires, car si le bloc ne monte pas de façon homogène, cela va créer des espaces et des failles, qui sont dès lors exploitables pour l’adversaire. Chaque erreur dans le pressing se paye cash.

Les contre-attaques doivent donc être éclairs et très rapides. La défense doit être fiable et très solide, car toutes les lignes sont alors placées très hautes sur le terrain. Prenons exemple sur le Liverpool de cette saison. Virgil Van Dijk, actuellement qualifié par beaucoup d’être “le meilleur défenseur du monde”, a apporté beaucoup de sérénité dans la défense des Reds. Toujours propre dans les relances, dur au duel, il permet à ses latéraux de jouer plus libérés et de se projeter. Ces projections offensives de Trent Alexander-Arnold et Andrew Robertson permettent au bloc de Liverpool de monter, et les latéraux peuvent apporter offensivement, par leurs centres et leur présence dans la surface ou sur les ailes.

Les milieux de terrain ont du coffre, ce qui leur permet de multiplier les efforts, tant offensifs que défensifs. Ils sont également justes techniquement, et les transitions rapides sont effectuées avec brio. Des joueurs comme Fabinho, Wijnaldum, Henderson, Keïta ou encore Milner sont alors parfaits.Les attaquants à utiliser dans ce genre de dispositifs sont alors des joueurs rapides, efficaces devant le but. Salah, Mané et Firmino répondent parfaitement à ces critères, et cela leur a permis de terminer deuxième meilleure attaque de Premier League, avec 84 buts marqués. Cette saison, les Reds ont la deuxième meilleure attaque du championnat, toujours derrière le Manchester City de Pep Guardiola, qui utilise le même style de jeu. En revanche, Liverpool est actuellement la meilleure défense du championnat, avec seulement 18 buts encaissés. Une des meilleures défenses d’Europe.

L’équipe type de Jürgen Klopp avec les Reds cette saison : 

Mais alors, quelle est la différence entre le Gegenpressing de Jürgen Klopp, et le pressing habituel ? Déjà, il y a les phases de pressing. Basiquement, pour effectuer un pressing “normal”, il faut que les joueurs attaquent le porteur de balle juste après un but, dans une situation où l’équipe adverse est en difficulté, ou encore juste après la mi-temps. Le contre-pressing se veut plus agressif, les joueurs attaquent constamment le porteur de balle, et ce à plusieurs. Le but est d’étouffer complètement l’équipe adverse, les pousser à la faute technique, et par la suite se projeter très rapidement vers l’avant. Certains équipes effectuent un pressing sur l’adversaire afin de récupérer le ballon, pour ensuite le monopoliser et reprendre la possession. Les équipes effectuant le Gegenpressing se battent pour pouvoir ensuite jouer très rapidement vers l’avant. La possession ne les intéresse pas, ils veulent simplement arriver le plus rapidement possible devant le but adverse, et marquer beaucoup de buts. Les joueurs n’hésitent pas à encercler à plusieurs le joueur adversaire ayant le ballon, pour l’empêcher de relancer proprement le ballon.

Une tactique qui fonctionne

Grâce à cette tactique mise en place, les joueurs de Liverpool sont actuellement en tête de la Premier League, avec un match d’avance sur Manchester City. Jürgen Klopp, grand artisan de cette première place, mais aussi du regain de forme de Liverpool depuis la saison dernière, est considéré par beaucoup comme un des plus grands tacticiens du football moderne. Guardiola l’utilise actuellement du côté de Manchester City, avec beaucoup de succès, notamment la saison dernière et leur sacre de champion de Premier League. L’équipe nationale d’Allemagne a longtemps utilisé cette tactique, notamment pendant l’Euro 2016, sans forcément être couronnée de succès.

A l’origine de cette tactique utilisée par beaucoup d’équipes dans le football d’aujourd’hui, le technicien allemand est très respecté, autant dans son pays que dans le monde entier. Il a déjà rapporté le succès au Borussia Dortmund lors de son règne sur le banc des Borussen, avec 2 titres de champion et une finale de Ligue des Champions, et est en train de réaliser la même chose du côté de Liverpool, avec peut-être un premier titre depuis les années 90 en championnat pour les Reds, et une finale de Ligue des Champions la saison dernière. Cette saison est peut-être celle du sacre pour les Reds, 29 ans après en championnat… Et les Reds pourront dire merci à Klopp et son Gegenpress.

Le Gegenpressing expliqué en vidéo : 

Une explication plus détaillée sur cette vidéo : (attention, elle est en Anglais)

Hugo Kucharski

Le Gegenpress de Jürgen Klopp