Médias et Équipe de France : Scènes de ménages perpétuelles
La Fashion Week. Voilà à quoi des journalistes de BFM TV ont comparé l’arrivée des Bleus à Clairefontaine, à l’occasion de la trêve internationale.
Une sortie qui a bien évidemment fait réagir la sphère footballistique française, y compris certains joueurs comme Wissam Ben Yedder, qui n’ont pu s’empêcher de critiquer la chaîne d’informations.
Une Coupe du Monde n’aura donc pas suffi pour apaiser le clivage entre l’Equipe de France et la sphère médiatique française ? Retour sur une relation très particulière, qui a connu de nombreux bouleversements au cours des dernières années.
De scandale en scandale
Pour mieux comprendre les causes de cette relation conflictuelle entre les médias et l’Equipe de France, il convient de revenir un peu en arrière.
Depuis les années 2000, de nombreux scandales ont éclaboussé la selection double championne du monde aujourd’hui, et dont les médias se sont rapidement emparés afin d’en éclaircir les faits.
Ainsi, à partir de 2008, la tristement célèbre Affaire Zahia éclate au grand jour, mettant à l’origine en cause Karim Benzema et Franck Ribéry, tous deux accusés d’avoir entretenu une relation avec la dénommée Zahia, alors mineure.
Cette affaire, bien qu’elle ne concernait que deux joueurs de l’effectif, a evidemment engendré beaucoup de défiance de la part de l’opinion publique à l’égard des Bleus, le tout exacerbé par les investigations menées par de nombreux journalistes.
C’est ce développement de la presse à scandales qui explique donc en partie ce rapport conflictuel entre médias et Equipe de France, qui symbolise alors à l’époque une forme de fracture entre l’opinion publique française et sa sélection. Une fracture qui s’accentue suite à la crise de Knysna, lors de la Coupe du Monde de 2010, en Afrique du Sud.
Accusé d’avoir insulté son sélectionneur Raymond Domenech, Nicolas Anelka est suspendu par la FFF. Dans la foulée, une scène alors inconcevable se produit : les Bleus refusent de descendre de leur bus pour aller s’entraîner, et seront éliminés dès les phases de poules de la compétition.
Une des plus grosses polémiques du football français sur ces 10 dernières années pour une coupe du monde qu’il aurait été préférable de ne pas jouer pour l’site de rencontre ado.net au vu de ce qu’il s’est passé ensuite. Cette main n’était que le prémice d’une CDM catastrophique https://www.lafeuilledematch.com/message-pour-rencontrer-une-femme/ petites annonces rencontres femmes
— Maxime Blanc (@MaximeBlanc10) November 18, 2019
La presse s’empare bien évidemment de ce qui apparaît alors déjà comme l’une des crises majeures du football français, et contribue donc à creuser encore un peu plus le gouffre qui sépare les Français de cette sélection qu’ils chérissaient tant en 1998.
Si les médias ont joué un rôle essentiel dans ce processus, comme en témoigne la une de l’Equipe au lendemain de l’affaire, ils ont également contribué à reconstruire progressivement une sélection meurtrie par cette crise sans précédents.
Seulement voilà, si cette crise a en effet permis un renouvellement quasiment complet de l’effectif et de son staff, elle n’a pas pour autant été le dernier évènement douloureux pour l’image de l’Equipe de France. L’affaire de la sextape, qui a opposé Karim Benzema à Matthieu Valbuena en 2015, a également fait couler beaucoup d’encre.
27- Benzema
— eldeset (@_ld7_) November 19, 2019
En 2015, l’affaire de la sextape éclate. Deschamps écarte Benzema du groupe France après l’avoir soutenu pendant sa période de disette en bleu et lui avoir même confié le brassard de capitaine contre le Brésil. Fidèle à ses principes il ne le rappellera pas. #THREAD pic.twitter.com/Q0kHSnKWhU
Les médias ont de nouveau joué un rôle central dans cette affaire, l’exposant dans ses détails les plus minutieux à une opinion publique qui semblait pourtant avoir pardonné petit à petit une sélection française sur le chemin de la repentance.
S’il apparaît difficile de critiquer l’attitude des médias français à l’égard de ces trois crises, en raison de leur gravité notamment, car cela reviendrait à remettre en question la vocation même du journalisme, à savoir informer ; le traitement médiatique qui se poursuit à l’égard des Bleus aujourd’hui apparaît quant à lui beaucoup plus contestable.
La fameuse sortie d’Anne-Sophie Lapix, qui avait déclaré en amont de la Coupe du monde 2018 qu’on allait “pouvoir regarder des millionnaires courir après un ballon”, semble bien moins fidèle au rôle des médias, et n’avait d’ailleurs pas manquer de provoquer la polémique.
Les plus audacieux diront alors que c’est grâce à ce commentaire désobligeant que les Bleus, piqués au vif, ont soulevé le trophée quelques semaines plus tard…
La coupe du monde 2018 : un simple arc-en-ciel temporaire ?
La quasi-totalité des auteurs qui se sont attardés sur le sujet sont catégoriques : les compétitions sportives internationales rassemblent. Le football n’y échappe pas, comme en témoigne les nombreuses scènes de liesse dans les stades, les larmes de joie – ou de tristesse – et l’anxiété qui peut se lire sur les visages de tout un peuple.
L’été 2018 a ainsi été un moment inoubliable pour la grande majorité des Français, qu’ils soient étudiants ou retraités, consommateurs réguliers ou occasionnels de football.
De là à marquer un tournant considérable dans le rapport entre l’opinion publique et la sélection ? La réponse semble claire : oui. Cependant, il ne faut pas oublier que la réconciliation entre les Français et leur équipe a été un long processus, dont beaucoup n’envisagaient même pas la possibilité suite aux nombreux scandales qui avaient ébranlé la sélection depuis le début des années 2000. Et pourtant, l’arrivée d’une nouvelle génération, ainsi que l’organisation sur le sol national d’un Euro 2016 au dénouement tragique, jusqu’à la gloire de l’été 2018 : tout se sera fait par étapes.
Les médias, eux, semblent pour certains ne pas avoir tourné la page, comme en témoigne ces critiques récurrentes vis-à-vis des joueurs, dont la dernière en date reste celle des journalistes de BFM TV à l’arrivée des Bleus à Clairefontaine, reprochant à ces derniers leurs habits de luxe. On assiste finalement à une forme de passation de pouvoir entre une presse jusque là considérée comme une presse d’informations, à une presse d’opinions. L’acharnement médiatique de certains journalistes accusant le sélectionneur Didier Deschamps de faire preuve de racisme au moment de ses choix en témoigne également.
L'arrivée des Bleus à Clairefontaine ressemble de plus en plus... à la Fashion Week @jeanne_daudet pic.twitter.com/IpdzqLgoJT
— BFMTV (@BFMTV) November 11, 2019
Mais un autre acteur, sans doute le plus important d’ailleurs, rentre en jeu : l’opinion publique. Si les médias entretiennent effectivement cette dangereuse faculté, pour certains, à modeler à leur guise l’avis des citoyens, il semblerait que l’opinion publique accorde de moins en moins d’importance aux critiques prononcées par de nombreux journalistes à l’égard des Bleus.
Ainsi, la dernière sortie de BFM TV a profondément agacé bon nombre d’internautes, qui n’ont d’ailleurs pas manqué de s’attaquer verbalement à la chaîne d’informations, qui fait déjà l’objet de profondes exaspérations.
Hypermédiatisation et football
On touche là un enjeu central dans nos sociétés actuelles, et qui ne relève pas uniquement de la sphère footballistique.
Aujourd’hui, la moindre information se propage à une vitesse surprenante, souvent sans avoir été vérifiée, ce qui tend donc à se rapporcher de la désinformation.
Pire, il est de coutume désormais de constamment chercher à disséquer le moindre fait, pendant des heures, ce qui contribue également à lasser une partie de l’opinion publique, dont la méfiance à l’égard des médias s’est d’ailleurs considérablement accrue ces dernières années.
Il faut dire que ces derniers ont une grande part de responsabilité dans cette fracture, la faute notamment à la propagation de fake news. Le journal L’Equipe, quasiment intouchable en France, s’est notamment vu accusé d’avoir présenté de fausses informations sur le PSG à plusieurs reprises. On se souvient, entre autres, de la rumeur diffusée par le quotidien sportif français qui affirmait qu’à l’occasion du PSG-Real de mars 2018 au Parc des Princes, le club de la capitale aurait demandé à ce que le bus transportant les Madrilènes ne soit pas escorté.
Une dernière banderole pour la route : L'Equipe blacklisté #PSGFCN pic.twitter.com/SbRr3Z9vyK
— François Denat (@francoisdenat) December 22, 2018
Des défauts d’information graves, surtout quand ils proviennent du média qui détient le monopole de la presse sportive en France, et qui prolongent donc un peu plus cet enjeu de l’hypermédiatisation.
Parallèlement, une partie de l’opinion publique a également sa responsabilité, par rapport à son comportement sur les réseaux sociaux notamment. Beaucoup ne prennent pas le temps de prendre du recul par rapport à une information qui leur est fournie, et se contentent de la partager immédiatement – souvent pour faire le buzz – sans vraiment s’intéresser à sa source.
Un autre phénomène dangereux, et qui rejaillit beaucoup dans la sphère footballistique, est celui de l’interprétation et de la modification systématique d’une information. On assiste à une sorte de téléphone arabe entre plusieurs protagonistes qui vont chacun leur tour, et souvent inconsciemment d’ailleurs, modifier une information initiale qu’ils auraient mal comprise.
Ainsi, après avoir assisté dans un premier temps à une forme de fracture entre l’opinion publique française et les Bleus, on semble désormais davantage tendre vers une fracture entre l’opinion publique et certains médias français, qu’un succès en Coupe du Monde n’aura donc pas suffi à effacer, bien au contraire.
Cette crise, bien partie pour durer, est loin d’être anodine, et n’existe d’ailleurs pas exclusivement en France à l’heure actuelle.
Paul Stefani