Tactique

Pep Guardiola : Entre amour et désamour

Adulé par certains, vivement critiqué par d’autres, Pep Guardiola ne laisse personne indifférent. Parti à la conquête de la Premier League il y a trois ans maintenant, il a mis tout le monde d’accord en remportant deux titres de champion d’Angleterre consécutifs, malgré une concurrence des plus féroces. Et pourtant, le technicien catalan suscite toujours autant d’interrogations, et son travail est systématiquement remis en cause. Zoom sur l’un des entraîneurs le plus populaire de sa génération.

Identité de jeu et progression des joueurs

S’il y a bien une chose que Pep Guardiola a systématiquement réussi, c’est imprimer sa vision du football aux équipes qu’il a entraînées. Un football offensif, spectaculaire, reposant sur des longues phases de possession afin de trouver le bon décalage, au bon moment. Un style de jeu auquel on a pas tardé à donner un petit surnom : le tiki-taka. De quoi agacer le concerné qui rejette avec véhémence cette appellation, qui n’a d’après lui rien à voir avec son style de jeu.

En effet, par définition, tiki-taka renvoie à un style de jeu basé sur une possession sans but précis. Or, dans l’esprit de Guardiola, le jeu de possesion de son équipe a un objectif particulier : marquer. Cela ne l’avait pas empêché, lors d’une rencontre de Ligue des Champions disputée face à Arsenal alors qu’il entraînait le Bayern Munich (2014), de dire à ses joueurs :

 

Pour une fois, je veux que vous fassiez exactement ce que je déteste le plus, ce que je vous ai dit être de la merde. Du tiki-taka. Je suis désolé, mais aujourd’hui, je veux que vous fassiez exactement cela, juste pour un moment. Passez le ballon sans but. Passez le ballon juste pour passer le ballon. Vous allez vous ennuyer et vous aurez l’impression que c’est un exercice inutile, mais il y a une raison. Nous voulons garder la balle et ennuyer Arsenal à mourir, les empêcher de nous prendre la balle. Ils finiront par se rendre compte que tout leur pressing est inutile parce qu’ils ne seront jamais à portée du ballon. Vous n’aurez pas besoin de moi pour vous dire quand passer à autre chose. Au bout de dix minutes, quand vous pourrez voir qu’ils sont à court d’essence, qu’ils s’ennuient et qu’ils perdent espoir, quand vous verrez qu’ils ne chassent plus la balle avec autant d’agressivité, messieurs, c’est à ce moment-là que je veux que vous commenciez le véritable match. C’est à ce moment-là que nous arrêtons le tiki-taka et commençons à jouer notre football.”


Sa plus grande réussite semble donc d’être parvenu à inculquer cette idéologie de jeu à Manchester City, dans un championnat historiquement réputé pour son aspect physique, souvent dominant sur l’aspect tactique. Si l’adaptation a mis un peu de temps, la première saison des SkyBlues étant pour le moins décevante, cela en valait finalement la peine. Depuis, les coéquipiers de Kévin De Bruyne, devenu une pièce maîtresse du système citizen, raflent tout sur la scène nationale. L’an passé, en plus du championnat, Guardiola et ses hommes ont également remporté le Community Shield, la League Cup ainsi que la Cup, venant étoffer encore un peu plus le palmarès du technicien catalan.

Si Pep Guardiola voue une fidélité sans faille à ses principes de jeu, cela ne l’a pas pour autant empêché de s’adapter selon certaines situations qu’il a traversées. En 2015, à l’occasion d’une demi-finale aller de Ligue des Champions disputée avec le Bayern sur la pelouse du Barça, il avait alors accepté de renoncer à son jeu de possession habituel, lui préférant une approche plus défensive. A l’arrivée, une défaite sur le score de 3 à 0, plutôt lourde au vu du match où les Munichois étaient parvenus à résister longtemps aux offensives adverses. 

L’autre grande force de Pep Guardiola réside dans sa capacité à faire progresser, parfois de manière fulgurante, ses joueurs. Une qualité qui doit très fortement jouer en sa faveur dans le vestiaire, et qui explique pourquoi celui-ci est toujours resté très impliqué. 

A Manchester, le tacticien espagnol a fait passé un cap à un joueur que beaucoup d’observateurs considéraient déjà comme ayant atteint son plafond de verre, à savoir Raheem Sterling. L’attaquant anglais est devenu un redoutable finisseur sous les ordres de son nouvel entraîneur, devenant un pion essentiel dans l’animation offensive des Citizens, et ce malgré une forte concurrence à son poste.

Quand il était en charge du Bayern, Pep Guardiola a notamment su tirer le meilleur de plusieurs joueurs, certains d’ailleurs devenus méconnaissables aujourd’hui. On pense notamment à Jérôme Boateng, un joueur qu’adorait Guardiola, et à qui il a confié une sorte de rôle de “quaterback” afin de casser les lignes adverses.

Le meilleur exemple reste sans aucun doute celui de Joshua Kimmich, arrivé en Bavière en 2015, en provenance de la Bundesliga.2. Comme le raconte le joueur dans The Players Tribune, c’est bien le technicien catalan qui a insisté pour qu’il rejoigne le Bayern Munich. La saison suivante, il n’hésitera d’ailleurs pas à donner du temps de jeu à un joueur alors méconnu des fans de l’Allianz Arena. 

Quatre ans plus tard, Joshua Kimmich est devenu indéboulonnable en club et en sélection, et il est d’ailleurs plus que probable de le voir, dans un futur proche, en porter le brassard de capitaine.

Echecs en LDC et syndrome de la comparaison

Si Pep Guardiola a toujours brillé avec ses équipes dans les compétitions disputées sur le sol national, on lui reproche en revanche d’avoir contre-performé trop souvent en Ligue des Champions.

C’est d’ailleurs l’argument qui revient souvent dans la bouche de ses détracteurs : il n’a jamais remporté la Ligue des Champions avec un autre club que le Barça. Lors de ses trois années passées sur le banc du Bayern, il se sera systématiquement heurté au stade des demi-finales, si l’on regarde le verre à moitié vide. 

Finalement, c’est surtout du côté de Manchester City que ce défaut rejaillit le plus, alors que Guardiola n’a disputé aucune demi-finale en trois ans. 

Mais alors, d’où provient le problème ? D’une idéologie de jeu incompatible avec la Ligue des Champions ? C’est ce que beaucoup d’observateurs considèrent, alors que l’infériorité numérique des Citizens en phase défensive a régulièrement été l’une des causes de leurs échecs dans la compétition.

Autant dire que l’ancien coach du Barça va être scruté de près à l’occasion de cette édition 2019-2020 de la Coupe aux grandes oreilles, dans laquelle City joue gros, car déjà distancé en Premier League par Liverpool.

Un autre facteur, extérieur cette fois, explique également pourquoi l’image de Pep Guardiola est si controversée. Il s’agit de ce besoin perpétuel, dans nos sociétés actuelles, d’avoir recours à des comparaisons afin de déterminer une hiérarchie, de déclarer qui est le meilleur, et qui est le moins bon. On le voit notamment à travers le duel Cristiano Ronaldo-Lionel Messi, systématiquement évoqué dans la sphère médiatique et sur les réseaux sociaux. Mais ce culte de la comparaison se retrouve également à l’échelle des tacticiens ; ainsi, depuis deux ans maintenant, on assiste à un nouveau duel créé de toutes pièces par les réseaux sociaux : Klopp VS Guardiola.

Forcément, cette configuration tend à motiver chacun à trouver des arguments afin de dévaloriser l’un par rapport à l’autre, ce qui explique ainsi pourquoi ces entraîneurs voient leur image transformée, car manipulée au quotidien par tous. 

Par exemple, depuis quelques mois, une nouvelle tendance contre Guardiola s’est diffusée sur Twitter, reprochant à l’entraîneur de Manchester City d’exagérer ses gestes et son coaching en présence des caméras.

Le symbole des dérives du jeu des comparaisons, dont les arguments finissent inéluctablement par sortir complètement du cadre du débat.

Paul Stefani

Pep Guardiola : Entre amour et désamour

Albanie – France : le remaniement technique des bleus

Pour la France, déjà qualifiée pour l’Euro 2020, l’objectif était la victoire, synonyme de première place du groupe. Pas de place à l’erreur pour le traquenard contre l’Albanie donc, qui avait déjà fait ses preuves lors du dernier euro. Et pour s’assurer la victoire, notre bon DD a innové, lui qui tient pourtant tant à son fétiche 4-2-3-1. Le résultat est là, 2-0 pour les Bleus.

La composition des Bleus

Mandanda, fidèle second de Hugo Lloris pendant de longues années, profite de la blessure du capitaine pour être titularisé, à juste titre au vue de ses performances avec l’Olympique de Marseille.

Du reste, on note de nombreux changements tactiques. L’ossature ne change pas drastiquement avec deux milieux récupérateurs et relayeurs complets (Sissoko et Tolisso) ainsi que Griezmann en 10. Deschamps fait comme toujours graviter l’équipe autour du néo-barcelonais. Néanmoins, la composition affiche tout de même de sacrés changements. Une charnière à trois (Kimpembe, Varane et Lenglet) où les trois protagonistes ne connaissent, ni au Barça, ni au Réal ni au PSG ce schéma ou encore une attaque à deux pointes Ben Yedder – Giroud. Pour finir, les latéraux Dubois et Ben Mendy se sont retrouvés propulser aux postes de pistons aux rendements très intéressants et équilibrés. Pour rappel, la rédac de La Feuille de Match avait déjà suggéré le 3-5-2, alors que Deschamps remaniait constamment son célèbre 4-2-3-1. A bon entendeur DD…

Les notes de la rédaction

Mandanda : 7. Efficace sans avoir trop de travail. La note c’est pour la forme.

Varane : 8. En mode patron, Varane n’a pas laissé d’espace et à l’instar de ses coéquipiers, il s’est bien adapté à cette charnière à trois.

Lenglet : 7. Dans l’axe, le barcelonais n’a pas eu plus de travail que ses compères. Il ne sait pas laissé allé pour autant.

Kimpembe : 8. Fidèle à ses performances actuelles au PSG, « Presko » s’est installé en mode buffle dans la défense française au point d’effrayer Manaj, littéralement.

Dubois : 8. Passeur décisif sur le but de Griezmann et très utile en défense, le lyonnais a fait l’essui glace pendant 88 minutes. Chapeau.

Sissoko : 6. Moyen, Sissoko n’était pas inspiré. Il s’est contenté du nécessaire. Il aurait été intéressant de voir Guendouzi pointer le bout de son nez…

Tolisso : 8. Un but de la tête, synonyme de la palette technique du munichois.

Mendy : 5. Pas franchement inspiré, le « Shark » à subi le contrecoup de son manque de jeu sous Guardiola et s’est montré parfois en détresse en défense.

Griezmann : 9 (en vrai 10 c’était pas immérité). Bon dans les déplacements sans ballon et toujours dans le bon tempo balle aux pieds, Grizou a été l’auteur d’une passe dé et d’un but du pied droit.

Giroud – Ben Yedder : 5. Individuellement, les deux ont été bons mais ensemble… Hormis une superbe louche de l’ancien toulousain pour Giroud les deux joueurs se sont peu trouvés et même peu cherchés. Vers un tandem d’attaque Giroud – Mbappé ? Alléchant.

Franche réussite ?

Malgré les notes de la rédaction, difficile aujourd’hui d’évaluer la performance des Bleus sur la durée. Face à l’Albanie, les Bleus ont été solides défensivement et offensivement mais à l’heure où Eden Hazard souhaite prendre sa revanche sur les hommes de Raphaël Varane, est ce que ce changement tactique est judicieux ? La réponse pourrait bien être oui. Face à l’Albanie, Griezmann a été étincelant, auteur d’un but et d’une passe dé et surtout toujours dans les temps. La charnière s’est vite adaptée et a été solide, bien soutenue par Dubois et Mendy qui couvrait tant les ailes que les rares phases défensives, où les champions du monde ressemblaient à un 5-3-2. Le milieu a été solide avec un Sissoko impliqué et un Tolisso buteur mais pas que… Ainsi il n’est pas difficile d’imaginer Mbappé prendre la place de Ben Yedder et de revoir la charnière Pogba – Kanté au milieu. Et quand bien même vous n’étiez pas convaincu par Mendy, Lucas Hernandez est pressenti pour faire son retour à l’Euro 2020. Alors… convaincu ?

Jules Arguel

Albanie – France : le remaniement technique des bleus

Chris Wilder : génie ou fou à lier ?

Le coach anglais de Sheffield United Chris Wilder, arrivé sur le banc des Blades en 2017, a mis en place un dispositif tactique pour le moins surprenant. Décryptage. 

Sur le papier, tout semble normal. Un 3-5-2 classique, avec trois centraux solides, deux pistons au grand coffre, deux attaquants complémentaires… Sauf que sur le terrain, le résultat est tout autre. Face à Crystal Palace le 18 août dernier, les Blades de Sheffield ont pratiqué un jeu léché, avec une bonne possession de balle pour un promu, de bonnes phases de transition… Mais surtout des défenseurs centraux aux avants-postes. 

Une tactique audacieuse

Durant toute la partie, nous avons vu les deux centraux de Sheffield Jack O’Connell et Crhis Basham faire des allers-retours incessants le long de la ligne de touche. Ces mouvements sont dûs à la philosophie de jeu prônée par Wilder : tout le monde attaque, tout le monde défend. Durant les phases offensives, les deux arrières centraux venaient dédoubler pour apporter des solutions sur les ailes, alors que les deux pistons George Baldock et Enda Stevens continuaient de se projeter vers l’avant ou de rentrer dans l’axe. La lourde tâche d’assurer la défense revenait donc au seul John Egan, défenseur axial. Les deux milieux de terrains Fleck et Lundstram, quant à eux, se projettent aussi vers l’avant pour apporter des solutions non loin de la surface. 

Sur les phases défensives, les joueurs de Sheffield avaient tout intérêt à se replier très rapidement dans leur camp. Parfois montés jusqu’au poteau de corner, les deux défenseurs centraux qui montaient devaient redescendre très rapidement. Heureusement, la cohésion d’équipe a permis aux Blades de ne jamais créer de sous-nombre défensif, les milieux couvrant les espaces laissés par ces montées fantasques. Lorsque Palace avait la possession, tous les joueurs de Sheffield se trouvaient dans leur propre camp, repliés afin de ne pas laisser un millimètre d’espace aux Eagles de Wilfried Zaha. Football total avez-vous dit ?

Statistiques de passes du match Sheffield / Crystal Palace récoltées via le site Whoscored.com

Carte montrant les zones de passes ainsi que le nombre de passes tentées par joueur. Statistiques récoltées via le site Whoscored.com

Un projet tactique inscrit sur la durée

Si Wilder nous apprend quelque chose, c’est qu’il faut être audacieux. Finis les promus qui jouent avec un bloc bas, attendant patiemment de se faire mettre à mort par les équipes au-dessus sur le papier. Place à l’audace. Le coach de Sheffield prouve qu’il ne faut pas avoir peur de proposer du jeu, quitte à parfois se faire punir en laissant trop d’espaces. Au bout de la deuxième journée, Sheffield a réalisé un match nul face à Bournemouth, et une victoire face à Palace 1-0. Le recrutement est cohérent, tout en étant limité. Phil Jagielka, le très expérimenté défenseur central anglais, a signé dans son club formateur en provenance d’Everton, où il perdait peu à peu du temps de jeu. Dean Henderson, gardien qui appartient à Manchester United, revient en prêt chez les Blades après une saison réussie en Championship, et Muhamed Besic arrive lui aussi en prêt. Côté transferts secs, trois arrivées offensives : Callum Robinson, attaquant de Preston pour environ 8 millions d’euros ; Lys Mousset, arrivé de Bournemouth pour 11 millions ; et Oliver McBurnie, arrivé de Swansea, pour 19 millions d’euros (record du club). Le buteur écossais arrive avec 22 buts en Championship au compteur, et est souvent évoqué comme un bel espoir à son poste du côté de l’Ecosse. Ajoutez à cela les recrues Luke Freeman, arrivé de QPR, et Ben Osborn de Nottingham, et vous obtenez le Sheffield version Premier League. 

Un recrutement donc cohérent sans pour autant chambouler tout l’effectif, puisque contre Palace, une seule recrue a démarré la rencontre, en la personne de Robinson. Chris Wilder préfère introduire en douceur les nouveaux membres de son effectif, le temps qu’ils s’adaptent à son système tactique. 

Les résultats de cette philosophie de jeu sont flagrants, avec une victoire contre Palace remplie de bonnes choses (15 tirs, 47% de possession, 77% de passes réussies, 10 passes clés) et un nul contre la belle équipe de Bournemouth 1-1 sur le fil, malgré une bonne prestation. De plus, un statistique montre les résultats plus qu’honorables : depuis la saison 2016/2017, Wilder a remporté 77 rencontres de championnat avec son club. Seul Guardiola a fait mieux sur la même période…  Malgré la défaite contre Leicester lors de la troisième journée samedi dernier (2-1 à domicile), les Blades ont montré de belles choses, tant sur l’aspect tactique que sur l’aspect physique. Néanmoins, c’est techniquement que Sheffield a pêché lors de cette rencontre, en rendant le ballon trop rapidement à leurs adversaires. “Nous n’avons pas été assez vite dans le camp adverse, et nous perdions le ballon trop rapidement. Quand vous rendez le ballon à de bons joueurs, ça ne pardonne pas” déclarait le coach au micro de BBC Match of the Day, à la suite de la rencontre. Le coach a également assuré ne pas vouloir “féliciter les efforts, car les efforts sont une évidence” pour lui. Une philosophie de jeu assumée, qui montre bien l’un des principes fondamentaux de sa tactique : la grinta.

Avec son style atypique, Chris Wilder a tout pour révolutionner l’image de son club. Tout juste promu avec son club de coeur, le coach des Blades a réussi à construire, en trois saison et demi sur le banc de Sheffield, un projet de jeu cohérent et ambitieux. A tort ou à raison ? Réponse en mai prochain… 

Hugo Kucharski

Chris Wilder : génie ou fou à lier ?